TÉMOIGNAGE ANONYME #ViolencesObstétricales
Date des faits : 08 août 2015 – Hôpital Robert Ballanger – Profession : Infirmière
Aujourd’hui j’ai fait le deuil de cette fausse-couche, de cette « erreur », de cet « embryon non viable », bref de ce petit bout de vie qui fera à jamais parti de ma vie. Mais je n’ai toujours pas digéré la façon avec laquelle on m’a prise en charge, j’ai longtemps occulté et minimisé mais non c’est bien de la violence que j’ai vécu et dont je veux témoigner aujourd’hui.
Éte 2015, je nage dans le bonheur, je viens d’être titularisée sur mon poste d’infirmière, je m’achète ma première voiture et avec mon conjoint nous faisons l’acquisition de notre maison, je profite de la remise des clés pour lui annoncer la grande nouvelle : « Je suis enceinte ». Cette 1e grossesse c’est un aboutissement après 7 ans de relation, tout est parfait pour le moment.
Les 2 premiers mois se passent normalement, juste les désagréments du début de grossesse (nausées, fatigue,…) mais qu’on accepte volontiers, jusqu’à un samedi soir d’août. Je me rappelle toujours de cette fraction de seconde où je vais aux toilettes avant qu’on sorte pour un ciné en amoureux et que je comprend en voyant mes sous-vêtements tâchés qu’il se passe quelque chose d’anormal….
Direction les urgences de la maternité où je voulais accoucher, je rentre seule avec l’infirmière, je n’ai pas le choix mais je voudrais tellement que mon chéri soit là car j’ai peur.
L’infirmière me pose quelques questions pour le dossier médical puis peu de temps après l’interne me reçoit seule à nouveau.
Elle a une voix douce, elle me demande de me déshabiller et de m’installer pour l’échographie, j’ai tellement peur mais je m’exécute. Elle commence l’échographie dans le silence et je comprend déjà ce qui se passe en voyant les images. Je suis à 2 mois et demi, étant du milieu médical je sais ce que je dois voir à ce stade et je le vois clairement : une tête, des bras et des jambes mais pas de battements cardiaque. Mes larmes se mettent à couler, l’interne avec sa voix douce m’annonce qu’elle n’arrive pas à voir l’activité du cœur mais qu’il faut recontrôler dans une semaine. Je ne comprend pas, pour moi c’est fini mais bon c’est elle la spécialiste et ça tombe bien mon échographie du 1e trimestre est pour la semaine prochaine. Je retrouve enfin chéri et nous rentrons, je suis ailleurs je n’arrive pas à être rassurée ni à le rassurer.
Le lendemain, dimanche, les pertes sont plus importantes et je commence à avoir mal, on décide de retourner aux urgences dans l’après-midi. Même procédure, j’attends en salle d’attente avec une maman au gros bidon et je me projette, j’aimerais tellement être à sa place. Toujours seule j’entre dans le bureau avec une nouvelle interne qui d’emblée me semble moins douce et avenante. Nouvelle échographie, toujours pas d’activité cardiaque, l’interne me répond froidement : « c’est fini, vous faites une fausse-couche !« . Bizarrement je me sens soulagée et en même temps un dégoût m’envahit en pensant que ce bébé est mort dans mon ventre. On se réinstalle toujours seule au bureau, elle m’explique que je vais devoir subir un curetage, il aura lieu mercredi… Quoi ?
Dans ma tête je me dis que je vais devoir rester 5 jours avec ça dans mon ventre… J’écoute à moitié tandis que les larmes coulent, coulent, elle continue à m’expliquer la procédure sans s’arrêter. Je vois dans la foulée l’anesthésiste et je fais mon bilan sanguin avec l’infirmière et je pleure et je pleure seule sans mon conjoint. À aucun moment, on ne me demandera comment je vais, on ne prendra le temps de m’écouter ou juste d’accueillir mes larmes. Ah si, pardon l’infirmière qui au moment de la prise de sang face à ma tristesse me dira « ça va aller, vous êtes jeune vous en aurez d’autres. » J’aurais voulu lui hurler que non c’est ce bébé que je voulais mais rien n’est sorti à part mes larmes.
Je sors sans aucune ordonnance d’anti-douleurs et un arrêt de travail jusqu’à mercredi, date du curetage. Je rejoins enfin mon chéri, je lui explique en continuant à pleurer et on rentre.
La journée se passe mais en soirée les douleurs augmentent, ce ne sont plus des pertes mais du sang, visiblement mon corps n’attendra pas mercredi. J’essaye de regarder le film mais des contractions me plient en deux malgré le spasfon. Je ne tiens plus, allez on retourne aux urgences.
Je me retrouve seule en pleine nuit dans cette salle d’attente, juste une femme amenée de psychiatrie (c’est elle qui me le dit), elle n’arrête pas de parler, chanter et moi je suis pliée en deux sur ma chaise la situation me parait surréaliste. L’interne que j’ai vu l’après-midi passe à ce moment et me reconnaît, elle décide de me prendre tout de suite. Je lui explique, la douleur et le sang alors elle me demande de me déshabiller et de m’installer sur la table d’examen. Et là devant mon intimité à nue elle me dit : « je le vois« . Moi dans ma tête je me demande ce qu’elle peut voir mais bon la douleur est trop forte j’ai du mal à réfléchir. Elle attrape des pinces longuettes et elle m’annonce qu’elle va l’enlever. Ni une ni deux, la voilà à l’intérieure de mon intimité, la douleur est insupportable je sens que ça tire et puis un plof dans un haricot. Elle me dit que c’est bon elle dépose le haricot un peu plus loin et moi j’ai envie de me rhabiller et de foncer dans les bras de mon conjoint mais il faut encore refaire une écho. L’interne est silencieuse, concentrée, moi je me sens un peu plus vide, elle rompt le silence en me disant qu’il y a « des débris ». Elle me demande de me rhabiller et de m’installer au bureau, elle va demander l’avis à son senior. Je m’exécute, silencieuse mais en pleurant et toujours seule, je me sens tellement isolée. Elle revient et là elle me dit cette phrase : « alors voilà on hésite à vous donner quelque chose pour évacuer le reste mais ça augmentera les douleurs. Et comme vous avez l’air d’avoir mal et que vous êtes aussi triste on ne sait pas trop alors on va vous garder en surveillance ? ».
Je bouillonne intérieurement, elle est tout simplement en train de dire que j’en fais trop, que ça ne fait pas si mal ? Mauvaise interprétation de ma part ou mauvais choix de formule, je ne le saurais jamais mais à ce moment là je me dis que je suis vraiment pas normale. On m’installe en salle de pré-travail et on me donne enfin un anti-douleur mais surtout on appelle ENFIN mon conjoint pour qu’il soit à mes côtés. Je ne saurais dire combien de temps je suis restée en observation, je scrutais cette salle, ce monitoring, ce ballon avec des yeux embuées, je prenais peu à peu conscience que je ne vivrais pas tout de suite ces moments que j’avais tellement rêvé,… J’entends au loin les femmes qui accouchent et les cris de leurs nouveau-nés. L’interne me revoit avec mon conjoint, les antidouleurs ont fait leur effet je n’ai presque plus mal, elle m’annonce que je peux sortir et que finalement ils laisseront mon corps évacuer « les débris » lui même. Elle me donne une ordonnance pour une échographie dans une semaine. Elle poursuit ses explications sur les saignements et les douleurs et elle me dit de prendre des médicaments plus forts que du spasfon si ça devait se reproduire. Je me permets de lui dire que je n’ai que du spasfon chez moi, elle me répond alors : « ah bon ? je ne vous ai pas fait d’ordonnance cet après-midi après votre premier passage ? « . Et bien non pas d’ordonnance, puisque personne ne m’a demandé si j’avais mal. Elle finit par me l’éditer et là mon conjoint lui demande où est ce que nous pouvons trouver ces médicament ? Il est presque 1h du matin, mon chéri est quelqu’un de prévoyant et il a raison. Elle semble agacée et répond qu’elle n’en sait rien, nous n’avons qu’à chercher la pharmacie de garde sur notre téléphone ou appeler le commissariat.
On repart tous les 2 un peu perdus mes ordonnances sous le bras, les larmes ne coulent plus mais je suis épuisée. La dernière image de ces urgences c’est un papa aux portes du SAS qui, sourire aux lèvres, montre à sa famille les photos de son bébé. On passe, il nous sourit, je lui renvoies son sourire mais mon cœur se serre un peu plus quand je vois la photo de son petit. La nuit se passera sans problème.
Le lendemain on est lundi, mon conjoint reste un peu dans la matinée avec moi et puis part au travail. Je me retrouve seule dans notre maison et vide à devoir annoncer à tous le monde que cette grossesse est terminée. Plein milieu d’après-midi, je suis sur mon canapé, ma collègue m’appelle, on discute elle me réconforte comme elle peut, je l’écoute mais je sens que quelque chose ne va pas. Me voilà en train de me tortiller, je n’ose pas la couper mais j’ai mal, de plus en plus mal, je ne l’écoute même plus. Elle raccroche, je sens quelque chose qui glisse entre mes jambes, j’arrive aux toilettes, je me déshabille et je le vois. Voilà les débris, j’arrive à distinguer un sac avec un cordon et quelque chose dedans je suis pétrifiée sur mes toilettes car pour moi ce ne sont pas des débris c’est bien une partie d’embryon que je viens d’expulser. Les secondes paraissent des minutes, les larmes se mettent de nouveau à couler et je me met bêtement à lui parler. Je m’excuse de ce que je vais devoir faire, je m’excuse de devoir mettre mon bébé à la poubelle car c’est que je ressens à ce moment.
Voilà, j’aurais fini cette étape seule, comme l’a été tout ce parcours. Dans mon malheur j’ai eu la chance d’avoir une famille qui a su bien m’entourer et un conjoint formidable. J’ai également pu compter sur ma gynécologue qui a été d’une infinie patience et douceur. J’ai ressenti le besoin de voir une psychologue après cet événement, j’ai fait la démarche moi-même et trouvé quelqu’un en ville. J’ai su longtemps après que la maternité disposait de psychologue spécialisée mais personne n’a visiblement jugé nécessaire de m’informer ou de m’orienter.
Aujourd’hui je suis maman d’un petit garçon en bonne santé mais je n’oublierai jamais cet événement ni la façon avec laquelle on m’a traité. Pendant longtemps j’ai pensé que c’était normal ce qui s’était passé mais non il n’y a rien de normal dans cette histoire et dans toutes nos histoires. Il faut que la parole se libère, que les mentalités évoluent car ce n’est plus possible de prendre en charge des femmes de cette façon là.
Merci.