Jeudi 30 mai 2018, Le Vif , publie un article intitulé « Docteur, les femmes c’est pas du bétail ! » . Céline, membre de notre groupe Stop à l’Impunité des Violences Obstétricales, témoigne.
Son témoignage étant raccourci pour les besoins de l’article, nous vous proposons de le lire en entier.
Je ne sais plus la date exacte ? Je suis enceinte de 12sa, je viens passer l’écho. J’ai 23 ans, j’en parais 16, je suis immédiatement infantilisée (comme toujours). Je mesure 1m50, chausse du 34, pèse 48kg. Pas besoin de pelvimétrie, le couperet tombe de suite : je suis trop étroite, même en provoquant au huitième mois, il passera pas, ce sera césarienne. Mon avis n’est pas requis, mais je crois ce que l’on me dit. Le gynéco me propose d’entamer le travail naturellement, et de partir en césa une fois dilatée à 7cm. “Ainsi, vous pourrez avoir la montée de lait”. Je le trouve super, je le garde pour l’entièreté du suivi. Qui se limitera à pesée – TV – tension – monito (avec une SF). Les prises de sang, complémentations et cie seront faites par mon médecin traitant.
Début septembre 2013 : ma tension est de 9.7 au repos, me lever pour aller aux toilettes peut suffire à me faire tomber dans les pommes. Je dois passer plusieurs monitorings par semaine pour assurer à l’équipe médicale que cela n’a pas de répercussions sur mon bébé. Les trajets aller-retour sont fatiguants, et il n’est pas rare qu’on me fasse lanterner, parfois plus d’une heure, debout dans le couloir, et que le personnel trouve cela tout à fait normal, même compte tenu des raisons qui m’amènent à faire ces monitorings. Une fois, j’ai tourné de l’oeil, une salle s’est libérée comme par magie, et j’ai été sanglée au monito sans autre mesure. Ils ont voulu me garder parce que “les stats n’étaient pas bonnes”. Et avec un peu d’eau sucrée, ça n’irait pas mieux, non ??
20 octobre 2013, 21h : comme tous les soirs depuis presque 50 jours, je contracte dans ma baignoire. Je suis lasse, à 10 jours du terme, dilatée de 3cm déjà. Je demande à mon compagnon d’aller me chercher mon huile essentielle de Palmarose, j’en mets une goutte au creux de mes reins.
22h : miracle, je perds les eaux !! Dans une euphorie totale, nous allons à la mater’ (à 5 ou 10 minutes). A peine arrivée, l’euphorie laisse place à la douche froide : sans un bonjour, j’ai l’ordre (oui, ordre) de me déshabiller entièrement. A peine nue, je suis rasée (sans lubrifiant, sans eau, rien, sur la peau distendue). Mon compagnon l’ayant fait deux jours avant, je ne comprends pas l’utilité du geste, je suis gênée. Puis, ordre (oui, toujours) de m’allonger. Pose d’un cathéter “au cas où”. Phobique des aiguilles, je refuse. La SF se tourne vers mon compagnon pour asséner “qu’avec ma tension, ce n’est pas raisonnable”. Premier essai, l’aiguille transperce la veine. Je pleure. En guise d’excuses, je me fait engueuler. Soi-disant que j’aurais bougé au moment où elle piquait “et qu’il vaudra mieux éviter ça lors de la pose de la péri”. Deuxième essai, un peu au dessus, sur la même veine (cela laissera un bleu immense, et du sang qui coulera sur mon poignet toute la nuit. Vous avez dit phobie ?). Je suis ensuite sanglée au monito, j’en ai fait très souvent je m’attends donc à pouvoir le retirer dans 20 minutes, une heure si je n’ai vraiment pas de chance. J’y resterai attachée toute la nuit, sans pouvoir bouger, sous peine de me faire littéralement engueuler. Le fait que j’aie le sacrum déboîté et que la position allongée soit pour moi une torture n’y change rien En dehors de cela, aucune présence, nous sommes seuls. Elle m’a fait si peur avec son histoire de bouger pendant la pose que je refuse la péri, et j’ai l’impression de mourir de douleur.
21 octobre 2013, 4h : je suis dilatée à 7cm, mon gynéco arrive, regarde entre mes cuisses. Il est mon sauveur, j’ai fait ma part, c’est fini. Et là, j’entends “mais ça s’est bien écarté tout ça, on va pouvoir tenter la voie basse !”. Je proteste un peu, puis réclame la péri, allongée sur le dos depuis des heures, sans aucun soutien, c’est bien trop douloureux ! A partir de là, tout est permis sur mon corps, les étudiants peuvent défiler pour apprendre à fourrer leurs doigts comme bon leur semble, et je n’ai plus le droit de me plaindre. Sauf que la péri ne fonctionne pas !! Je sanglote, me tortille, j’ai mal et je le dis. Alors je suis une chochotte, une petite nature, puis une menteuse et une comédienne.
Comme je peux encore bouger mes jambes, elles sont placées dans les étriers. Comme les étriers sont trop hauts, et qu’apparement ça doit être très pénible de les régler, deux coussins sont glissés sous mes fesses. J’ai donc le bassin plus haut que les épaules…
21 octobre 2013, 6h : je suis à dilatation complète, mais c’est l’heure du changement de service. Il m’est donc demandé de pousser. Plus fort, mieux que ça. Moi je sanglote à chaque contraction, bien trop loin dans la douleur pour comprendre quoi que ce soit. Je pousse mal, hors des contractions, la nuque raide et la tête vide, trop légère, j’ai envie de vomir : les signes classiques d’une chute de tension. J’ai toujours deux coussins qui me surélèvent le bassin : je pousse donc en “contre-pente”. Alors la SF s’énerve, me monte sur le ventre, les fesses à 10cm de mon nez, et lance violemment: “bon, je vous aide, si sur la prochaine contraction vous ne poussez pas, je vais vous le chercher à l’intérieur !”. Je suis sidérée, mais la contraction est là, alors je pousse, tout ce que je peux, et la SF aussi, la douleur est indicible, d’ailleurs je n’ai pas la voix pour la sortir. Bébé, lui, sort en boulet sur cette poussée. Heureusement, je n’aurais pas pu le faire deux fois, et cela m’a probablement évité les forceps. Il est aussitôt mis sur mon ventre, je ne réalise pas, il éternue, et je sens mon coeur fondre. Le gynécologue s’active entre mes cuisses, je ne sais pas ce qu’il fait, j’ai mon bébé dans les bras et rien d’autre ne compte. L’équipe sort avec son matériel et mon placenta. Je ne sais pas quand il est sorti ni comment. Je crois que je préfère ne pas savoir.
21 octobre, 8h30 : nous avons visiblement été oubliés, ce qui nous convient tout à fait, mais j’ai froid, nue dans cette pièce depuis des heures sans même un drap pour me couvrir. Mon bébé s’est endormi sur moi. On entre enfin “pour la mise au sein”. Je rigole bien, il a mangé depuis déjà deux heures ! Bébé est réveillé sans ménagement pour les soins, les tests et l’habillage, on me pose une sonde urinaire quand je répond que je ne suis pas encore allée aux toilettes (sans me proposer de m’aider à y aller d’abord), puis nous sommes montés en chambre, moi dans le lit sur lequel j’ai accouché. Je suis toujours nue, sous un drap qu’ils ont quand même daigné me trouver. Pas une excuse.
21 octobre, 11h : des boutons apparaissent autour du cathéter de la péri (qu’ils n’ont toujours pas retiré. Pourquoi ? Je n’en sais rien). Ils me grattent, me brûlent. J’en fait part, sans autre réaction que me retirer enfin cette aiguille. Ces plaques s’étendront trois jours durant sans que je puisse consulter un dermatologue, malgré mes nombreuses demandes. Mon corps entier finira par être atteint de grandes plaques rouges brûlantes au moindre contact. Je fais en fait une réaction allergique (urticaire) à leurs anti inflammatoires. C’est un effet secondaire fréquent, noté sur la notice. Ils m’en ont gavée pendant trois jours sans s’informer (mais par contre, la douleur entre mes jambes et dans mon dos, c’était “normal” ou “dans ma tête”).
22 octobre, 4h (du matin, donc) : une infirmière (je pense) entre dans ma chambre, allume la lumière, déshabille mon bébé et prend sa t° en anal (pourquoi ? Je ne sais pas, elle ne m’a pas adressé un mot). Puis repart, toujours sans un mot, en me laissant mon bébé nu et hurlant sur la table à langer. La douleur de la station debout est immense, mais je ne peux pas le laisser comme ça !
23 octobre, au matin : deux infirmières entrent et entreprennent de faire une prise de sang sur la main de mon bébé. Elles n’y parviennent pas, tentent l’autre main. Je m’énerve et les repousse. Elles le prennent avec elles sous couvert de demander de l’aide en néonat. Il reviendra 30 minutes plus tard, des pansements aux deux mains ET AUX DEUX PIEDS !!! Pas une excuse, pas un commentaire. J’ai l’impression d’étouffer dans ma rage.
24 octobre, 2h (du matin, toujours) : j’ai les seins tellement engorgés qu’ils ressemblent à deux pierres énormes, ils sont durs, rouges, chauds. Je demande une compresse, un tire-lait, n’importe quoi pour soulager la douleur. On me répond de réveiller mon bébé et de le mettre au sein ! J’ai dû exprimer mon lait debout (douleur encore) au dessus du lavabo, et voir ce colostrum se perdre. Je pleure.
25 octobre, je peux rentrer chez moi. Une fois passée la porte, je pleure des heures durant sur cet accouchement qui a des allures d’abattoir, sur les douleurs terribles que je ressens encore, sur cette terreur d’avoir à être debout pour gérer les tâches du quotidien, et sur ces deux nuits sans sommeil infligées par l’hôpital, quand mon bébé, lui, dormait calmement de minuit à six heures du matin.
Trois mois plus tard, me plaignant auprès d’un ami de l’inconfort de la position assise depuis l’accouchement, j’apprendrai de la bouche de mon compagnon que “bien sûr que si, elle peut encore avoir mal ! Tu vois tes bourses ? Tu vois ton anus ? Hé bien clip de l’un à l’autre” en imitant une paire de ciseaux. Je n’en reviens pas. Je n’ai pas reçu le moindre conseil sur l’entretien d’une suture, je n’étais même pas avertie en avoir subi une !
Fin de ma rééducation post-partum : je suis toujours incontinente. Ma kiné me transfère vers un urologue, et le verdict est sans appel : mon sphincter urinaire est trop endommagé, il faudrait m’en poser un mécanique “mais dans ce cas, vous ne pourrez plus avoir d’enfant”. J’ai 24 ans, et la décision est dure à prendre. Je resterai (et suis encore) incontinente. L’urologue accepte de mettre cela sur le compte de l’accouchement, mais pas de l’expression abdominale : c’est la faute de mon bébé, pas du corps médical. Je l’ai cru, et j’en ai voulu longtemps à mon bébé avant de comprendre. Aujourd’hui je sais que le coupable n’est pas lui, mais la relation est entachée. Il me faudra quatre mois de thérapie pour m’en occuper autrement que de manière automatique (nourrir, changer, laver, et voilà).
Deuxième grossesse, deuxième rééducation. Il s’avère que mes abdominaux transverses ne sont plus mobilisables. Ce qui amène mes abdos “droits” à peser sur les ligaments qui les soutiennent, et à long terme je risque la descente d’organes. Ces abdos, je le sais bien, moi, pour le vivre au quotidien, ne sont plus mobilisables depuis la première grossesse. La deuxième n’a rien dû arranger, mais le problème existait déjà avant.
Deuxième accouchement, la reprise des rapports se fait dans la douleur. J’en pleure. La mort dans l’âme, je vais consulter une gynécologue, conseillée par la SF qui m’a soutenue lors de la naissance de mon bébé, dans le respect le plus total. Cette gynécologue est en effet très respectueuse et à l’écoute. Elle ne nie pas d’emblée ma souffrance, et découvre une paroi vaginale fine comme une feuille de papier. Il faudra laisser le temps à ma muqueuse de se refaire. Mais elle découvre aussi autre chose. Une chose qui la choque. Un bout de peau replié sur lui-même le long d’une suture, sur tout le côté gauche de mon vagin. Elle en arrive à la conclusion que, lors de la suture de l’épisiotomie du premier, le “praticien” a jugé utile de me refaire un hymen à neuf ! Ce bout de peau, qui me fait mal à chaque rapport depuis quatre ans, ne pourra être retiré qu’au scalpel, sous anesthésie.
Voilà à quoi ressemble “le plus beau jour d’une vie” lorsqu’une équipe médicale s’en mêle.