Les recommandations de la Haute Autorité de Santé concernant l’accouchement normal semblent au premier coup d’œil plutôt positives. La HAS recommande de réduire les interventions techniques et médicamenteuses, de rendre moins systématiques l’épisiotomie ou la césarienne et de ne pas recourir à l’expression abdominale. La HAS insiste sur la nécessité de pouvoir bouger et changer de position, de pousser de la manière qui semble le plus efficace à la parturiente et de ne pas se voir imposer un toucher vaginal sans consentement…
Attention cependant ! Il y a des critères d’éligibilité pour qu’on respecte votre physiologie : ceci ne sera valable que si votre accouchement n’est pas déclenché, si vous n’avez pas déjà eu une césarienne, si vous n’êtes pas enceinte de jumeaux, si votre enfant ne se présente pas en siège, si vous ne souffrez pas d’un diabète gestationnel, s’il n’y a pas de suspicion de retard de croissance, ni un petit poids de votre enfant selon l’âge gestationnel, ni un accouchement prématuré…
A l’IRASF, nous pensons que la prise en charge respectueuse des besoins fondamentaux des parturientes doit concerner toutes les femmes et pas seulement celles qui auront la «chance» de correspondre à la définition de la HAS alors que, par exemple, pour l’année 2016 en France, 23% des femmes sont déclenchées (180 550 femmes).
Qu’on se rassure : la HAS avait recommandé d’informer les femmes qu’elles pouvaient refuser «certains» déclenchements artificiels. Et pour les césariennes ? En 2016, 20% des femmes ont accouché par césarienne sur 785 000 naissances. Ces 157 000 femmes dont l’utérus est cicatriciel n’auront-elles pas le droit de bénéficier d’une prise en charge plus respectueuse de leurs besoins physiologiques et psychologiques lors de leur prochain accouchement ? Ni celles qui ont accouché par césarienne en 2015, en 2014, en 2013…? Les recommandations précisant que l’accouchement à faible risque obstétrical (une fois que seront exclues quelques centaines de milliers de femmes) sera réévalué en continu, le nombre de parturientes non éligibles risque d’être beaucoup plus élevé. D’autant que le texte de la HAS précise que ces recommandations ne prennent pas en compte les questions d’ordre organisationnel, les moyens humains et matériels pour la mise en place et l’application de ces nouvelles pratiques… Dans ce cas que fait-on des doléances sur le manque de moyens des co-président.e.s de ce groupe de travail, Mme Sophie Guillaume, sage-femme (Paris) et le Pr Bernard Hédon, gynécologue-obstétricien (Montpellier), qui, en d’autres circonstances et dans d’autres fonctions professionnelles, vont justifier l’existence de la violence obstétricale par le simple manque de moyens ?
Dans la synthèse de recommandation de bonne pratique, on trouve un encadré avec des messages clés. L’un d’eux attirent fortement notre attention et nous attirons donc la vôtre sur ce point fondamental : « Paradoxalement beaucoup de données manquent dans le champ de la physiologie de l’accouchement des femmes à bas risque obstétrical». Notons, dans le tableau 2 de la synthèse, un aveu surprenant : «Pas de données suffisantes pour recommander : ni la technique de dégagement de la tête fœtale, ni l’accompagnement du mouvement de rotation et de restitution de la tête fœtale». La physiologie de l’accouchement normal ne serait donc pas totalement maîtrisée apprend-on.
Enfin, les deux représentantes des usagères figurant dans le groupe de travail, Madame France Artzner du Collectif Ciane et Madame Séverine Guillard-Darque de PaMaNa, sont en désaccord, à juste titre, avec la définition de la bientraitance de la HAS et sur un élément fondamental, le respect de la décision maternelle et parentale. Les représentantes des usagères préfèrent : « La bientraitance se traduit par la qualité de la relation avec la femme et l’accompagnant, la prise en compte des préférences et des attentes exprimées par la femme, au même titre que les données de la science et l’expérience clinique des soignants ».
Mais la définition retenue par la HAS accorde la seule décision aux soignants puisqu’elle préfère : « La bientraitance se traduit par la qualité de la relation avec la femme et l’accompagnant, la prise en compte des préférences et des attentes exprimées dans le projet de naissance, si celui-ci existe et s’il n’est pas incompatible avec la sécurité, l’hygiène ou les protocoles établis (…) la femme pouvant changer d’avis à tout moment ou la survenue d’une complication imprévue pouvant imposer une décision médicale urgente ». Imprévue comme le dégagement de la tête et sa restitution pour lesquelles il n’existe pas de données suffisantes peut-on supposer. Notons également l’insistance de cette définition sur l’existence du projet de naissance.
« IMPOSER » est bien le terme puisque l’égalité des compétences (la connaissance approfondie du praticien et l’aptitude à accomplir de la parturiente) et le respect de la décision des femmes et des couples ne sont pas retenues. « Au même titre » semble poser un souci au titre de docteur.
Non Mesdames, vos compétences de parturientes ne sont pas au même titre que les compétences universitaires de ceux qui n’accouchent pas. Nous voilà une seconde fois rassurées, chacun reste à sa place. Surtout la femme.
La HAS précise : « Il faut souligner cependant que par manque de données, la majorité des recommandations émises reposent sur un accord d’experts au sein du groupe de travail, validé par un groupe de lecture ».
Le groupe de travail comprenait 18 soignants, experts en accord avec la définition de la bientraitance choisie par la HAS et 2 représentantes des usagères en désaccord avec la définition retenue. Dans le groupe de lecture, les 7 experts représentantes des usagères ont été en désaccord avec la définition choisie par la HAS face à 51 soignants en accord avec la définition retenue par la HAS. Aucun expert représentant les usagers (9 au total) du groupe de travail et du groupe de lecture n’ont été en accord avec la définition de la bientraitance sélectionnée par la HAS. Sur les 60 soignants (toutes professions), 8 sages-femmes et 1 obstétricien ont été en désaccord avec le texte de la HAS.
Résumons donc ces recommandations :
- Eligibilité pour pouvoir accoucher dans le respect de sa propre physiologie – éligibilité accordée par les soignants
- Exclusion des femmes que les interventions médicales auront déjà fait sortir du concept de bas risque obstétrical et avant même que les femmes aient pu exprimer leurs compétences
- Réévaluation du risque obstétrical et modification de la prise en charge « respectueuse » à tout moment au cours de l’accouchement
- Recommandations pour une prise en charge respectueuse faites en dehors de toute considération organisationnelle, budgétaire, de moyens humains et matériels
- Prise en charge respectueuse du déroulement spontané de la naissance assujettie aux protocoles hospitaliers qui priment sur la physiologie, les besoins et les choix des femmes et des couples.
- Les soignants définissent ce qu’est la bientraitance, pas les usagères
Peut-on nous expliquer en quoi les recommandations de la HAS diffèrent de ce qui est pratiqué en obstétrique quand on lit ce résumé et les deux assertions suivantes ?
« Chez une femme enceinte en bonne santé, le déroulement de l’accouchement peut être considéré comme normal aussi longtemps qu’il n’y a pas de complication. »
« La bientraitance se traduit par la qualité de la relation avec la femme et l’accompagnant, la prise en compte des préférences et des attentes exprimées dans le projet de naissance, si celui-ci existe et s’il n’est pas incompatible avec la sécurité, l’hygiène ou les protocoles établis. »
Nous pouvons donc nous questionner sur l’existence même de ces « nouvelles » recommandations et de leurs intérêts réels.
L’ Institut de Recherche et d’Actions pour la Santé des Femmes ne lutte pas pour que le respect des demandes des femmes ne soit plus accordé après l’intervention médicale passée ou présente. Ceci scinde de fait en deux catégories bien distinctes les femmes qui accouchent, celles dites à bas risques et les autres.
Le Regroupement Naissance-Renaissance parle très justement de condescendance à propos du terme « préférences ». « Les préférences des femmes » : il s’agit d’un mot encore bien superficiel pour parler de leurs besoins fondamentaux au moment où elles donnent la vie.
Peut-être la HAS devrait-elle remplacer le terme « préférence » par « respect du consentement libre et éclairé » comme explicité par le législateur dans la loi Kouchner, loi s’appliquant à toutes les femmes peu importe leur état.
L’IRASF lutte pour que la loi Kouchner et le respect du droit des patientes ainsi que les lois sur le viol, les agressions physiques volontaires ou involontaires, la torture… s’appliquent sans distinction de l’état de santé, sans catégorisation discriminante que constituerait l’état de grossesse d’un être humain.
Nous attendons de la HAS des recommandations suffisamment fortes pour nous défaire des adages français qui consistent à expliquer le non respect du cadre légal par un « ça dépend sur qui vous tombez » ou « le bébé va bien, tout va bien».
Peut-être faudrait-il cesser d’expliquer aux femmes l’aléas obstétrical si la physiologie de l’accouchement est mal connu, s’il n’y a ni moyen humain ni moyen financier pour accompagner chaque cas unique qu’est un être humain devenant parent et si ce sont encore et toujours les soignants qui finalement décident de la nécessité d’intervenir malgré la loi Kouchner.
La bientraitance, ce sont les usagères qui doivent la définir. Que les sept représentantes des usagères soient en désaccord sur sa définition est symptomatique du paradigme obstétrical en France.
Nous attendons plus de la Haute Autorité de Santé et notamment que les recommandations ne soient pas un simulacre de prise en compte de la parole des usagères. Mais surtout comment rédiger des recommandations sur l’accouchement normal sans rappeler la loi et l’obligation de recueillir le consentement libre et éclairé de la femme ?
Doit-on se réjouir que les règles d’éligibilité et de suivi exigées en maisons de naissance s’appliquent en dehors de celles-ci quand la prise en charge respectueuse de la physiologie peut cesser à tout moment si le soignant le juge nécessaire ?
Une sortie imposée de la prise en charge respectueuse du déroulement de la naissance non pas en raison d’un risque avéré mais d’un risque éventuel « quand pour la majorité des femmes l’accouchement se déroule sans complication » comme le rappelle la HAS ?
Doit-on se réjouir quand le droit à la prise en charge respectueuse de la physiologie ne peut pas même s’exercer car on n’a pas été élue par la HAS ?
Encore une fois, les parturientes ne seront pas décisionnaires de ce qu’on leur fera.
A titre d’exemple, si une femme avec un utérus cicatriciel veut/ressent/désire/préfère/sent la nécessité/d’accoucher dans le respect de sa physiologie pour son accouchement suivant, n’en a-t-elle donc pas le droit en 2018, en France ?
De l’aveu même de la HAS « beaucoup de données manquent dans le champ de la physiologie de l’accouchement des femmes à bas risque. Des moyens financiers et organisationnels sont à mettre en œuvre afin d’évaluer ces pratiques ».
Evaluer les pratiques des femmes qui consistent à faire naître un enfant de leur corps depuis 200 000 ans ?
Pourquoi essaie-t-on de faire croire aux parturientes que leur autonomie est un frein à leur sécurité et à celle de leur enfant ?
La seule réponse que nous exigeons est le respect de la loi et donc du consentement libre et éclairé.
Les recommandations de la HAS sont ici : https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2823161/fr/mieux-accompagner-les-femmes-lors-d-un-accouchement